alors là

Entretien avec Du Zenghun

 

« Au début, j’en avais marre du langage ancien : la photographie, les installations, autant de langages trop vieux. De même, il y a plein d’artistes vidéastes et je ne trouve rien qui m’intéresse, me corresponde. Et là arrive l’informatique : enfin un langage contemporain, enfin un outil qui évoque la vie actuelle, le monde contemporain. »

 

 

– Comment en es-tu venu aux arts numériques ?

 

J’ai traversé une expérience de l’art du Moyen Age jusqu’à la fin du 19e – les impressionnistes, en passant bien sûr par l’abstraction des années 60 et la photographie et les installations dans les années 80 – pour arriver à ce constat irréversible : toutes ces formes artistiques sont des langages passés.

 

J’ai été enseignant à l’école des Beaux-Arts en peinture traditionnelle chinoise. J’ai donc une formation très classique à l’origine. Après, je me suis beaucoup engagé dans la création plastique : peinture abstraite d’abord, puis j’ai abordé les installations, la photographie dans les années 80. Il m’a fallu presque vingt ans, avec une forte éducation classique et une pratique de la  peinture traditionnelle dont les techniques remontent à la Renaissance, avant d’aborder les arts numériques. A mon arrivée il y a 12 ans en France, je travaillais encore beaucoup la matière de la peinture, c’est également là que j’ai abordé la photographie et les médias analogiques.

 

C’est en 1997 seulement que j’ai acquis mon premier ordinateur. Un Pentium, 176 MGH, un bébé aujourd’hui… A cette époque, tout à coup je sens qu’un nouveau langage va enfin émerger.  Une autre chose est très intéressante à ce moment : c’est la folie qui caractérise cet univers, l’addiction qui est partagée par l’ensemble des personnes équipées. Les gens à l’époque sont tout le temps devant leur écran, ne décrochent plus de leur ordinateur : c’est comme à l’arrivée du média Télévision : soudain les gens modifient leurs comportements et ne sortent plus, ne discutent plus entre eux et le monde en est irréversiblement changé. Cela a été la même chose avec l’arrivée de l’ordinateur : la vie en a été changée.

 

 

– Et toi, es-tu aussi victime de cette dépendance ou parviens-tu à conserver une distance critique ?

 

Oui, bien sûr. Cela est inévitable : si vous êtes passionnés par les nouvelles technologies, vous ne pouvez pas vous empêcher de devenir dépendant. C’est précisément cela qui m’intéresse dans ce rapport de l’homme à la machine : il est toujours impossible de séparer ce qui relève du positif ou du négatif.  La critique est impossible, c’est un phénomène réel : ça existe.

 

 

 

-Comment parvient-on justement à critiquer cela avec ce support, en utilisant les nouvelles technologies ?

 

Mon dernier travail s’appelle « Cover », « couvert ». Il est exposé à la Gaîté lyrique en novembre puis le sera dans le cadre de Lille 2004. Il se présente comme cela (note du traducteur : cf dessin) : toutes les informations, toutes les images qu’il met en scène sont extraites de l’univers de la Télévision. Si vous n’êtes pas là, il ne bouge pas ; ce n’est que si vous êtes présents qu’il se met en branle, que commence l’animation.

 

Il s’agit de différentes images de télévision qui ont été montées et séquencées pour s’animer uniquement quand le spectateur est exposé à elles ; et je surgis à ce moment là. Je sers à « couvrir » l’actualité et je ne suis là que quand le spectateur est présent, sinon je reste caché. Je reste toujours entre le spectateur et les images, si le visiteur bouge, je le suis et reste toujours devant vous.

 

Le rôle de journaliste est de donc « découvrir » la vérité. Moi je fais le contraire, parce que cela n’est pas la vérité. Mon rôle est alors de « couvrir » celle-ci, au sens propre comme bien sûr au sens figuré.

 

-Qu’est-ce que le langage multimédia t’apporte de spécifique en tant qu’artiste, quelque chose que tu ne trouverais pas ailleurs  ?

 

Pour l’instant, ce qui m’intéresse le plus reste l’interactivité ; l’interactivité non pas pour jouer, pour s’amuser mais pour obliger le visiteur à intégrer le dispositif et à fonctionner dans « l’ œuvre ». C’est une façon de le piéger, c’est – pour moi comme pour le visiteur – une façon de travailler sur la dimension de pouvoir inhérente à la société de l’information et des nouvelles technologies. Nous sommes dans une dictature de l’information et des nouvelles technologies, c’est exactement cela aujourd’hui (voir à ce sujet l’entretien avec Du Zenghun publié dans le cadre du tour du monde du Web : la Chine).

 

Tu aimes beaucoup le thème de la manipulation, il y a des traques, des chasses, des mises en situation de gens poursuivis par la police ou de gens filmer par une caméra dans l’espace public….

 

Oui, c’est seulement avec ces outils, dans ces dispositifs, que l’on peut présenter ce phénomène, que l’on peut parler de la vie aujourd’hui. La peinture ne peut pas le faire, je crois du moins. Dans le domaine de l’informatique, même s’il n’y a pas pour l’instant beaucoup de travaux finalisés, l’activité par contre est en constante émulation, la dynamique est réelle.

 

Ce que je veux dire, c’est qu’il est très difficile d’exprimer un sentiment de ce qu’est la vie aujourd’hui avec la peinture. Les arts numériques, eux permettent d’ « évacuer », de « sortir » ces sentiments personnels mais aussi partagés, collectifs.

 

 

 


 

 

Bruno LATHULIERE

 

 

 

 

 

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