Être humain trop lourd – Rétrospective Du Zhenjun
A la Conciergerie – Coproduction de la Gaîté Lyrique
Du 04 au 16 novembre 2003 à Paris
Neuf installations multimédia de l’artiste chinois Du Zhenjun au Festival d’Automne – une coproduction de la Gaîté Lyrique. Des installations interactives monumentales et fascinantes qui s’interrogent sur notre société et prennent à partie le spectateur.
Jens Hauser s’est rendu sous les voûtes de la Conciergerie à la rencontre de Du Zhenjun.
Jens Hauser: « Être humain trop lourd »…tu as choisi un titre ambiguë pour tes installations multimédia interactives, dans lesquelles les projections immatérielles priment pourtant.
Je n’utilise pas les nouvelles technologies numériques pour en faire l’apologie, mais pour parler de la lourdeur de la nature humaine aujourd’hui. L’avènement de l’ère numérique bouleversera la conception de l’Homme d’une manière comparable à la Renaissance, quand l’Homme est sorti de l’ombre de Dieu, grâce aux nouvelles technologies de l’époque. Sans cette évolution, mes artistes favoris comme Rembrandt, Van Gogh et Caravage n’auraient pas existé. Depuis, l’Homme s’est autodéclaré Dieu, tout en devenant « humain, trop humain », comme disait Nietzsche. Selon moi, l’âge numérique fera sortir l’Homme de l’ombre de l’Homme.
JH: C’est alors pour mieux refléter ces changements que ton travail est truffé de références à l’histoire de l’art? Les images vidéo du « Radeau de la Méduse » sont une citation d’un tableau que Théodore Géricault a peint en 1819. On y voit des naufragés qui tentent désespérement de rejoindre la côte…
…et quand le visiteur s’approche et marche sur les capteurs, il déclenche un tonnerre de spots de lumière: Il se trouve, malgré lui et tout d’un coup, dans le rôle de la police maritime. Evidemment, je parle ici de l’immigration clandestine qui paraît poser tant de problèmes à la société occidentale. Je démontre toujours comment les conceptions morales rentrent en conflit avec la nature humaine. Ainsi, l’Homme cherche à créer des utopies morales. Mais si l’on parvenait réellement à réaliser ce paradis catholique ou la société communiste ce serait tout aussi catastrophique.
JH: Tu fais du spectateur un acteur qui se trouve souvent dans une position très inconfortable. Dans « Présomption », les images n’apparaissent qu’en sa présence et il devient gardien d’un camp de concentration lors de la guerre en Bosnie.
Je fais un portrait de l’Homme. La morale m’est indifférente. L’Homme est cruel. Il adore la compétition, et c’est très efficace quand les forts écrasent les faibles.
JH: Tes installations ne fonctionnent que lorsque le visiteur abandonne la posture d’un regard passif et s’implique physiquement. Dans « Cover », cela devient une critique cynique de la consommation télévisuelle passive.
Quand le visiteur entre en scène, tout le film des actualités télévisées se met à bouger pour nous éduquer. Mais immédiatement, cette vérité médiatique est cachée par de multiples avatars de mon alter-ego numérique. Je cache l’image et suis le visiteur où qu’il aille. Certains croient à la liberté de la presse, qu’elle nous ferait découvrir le monde et qu’elle nous rendrait libres. Je n’y crois pas. C’est une autre dictature qui forge nos cerveaux. Donc, cacher cette vérité médiatique est une vérité au même titre! Avons nous encore un espace pour réflechir hors des médias? J’oblige le visiteur à voir l’image cachée – comme nous sommes obligés à grandir dans la logique de la télévision. J’en ai pas, mais c’est impossible d’y échapper.
JH: Ce genre d’engagement politique peut-il changer notre regard?
Le pouvoir de l’artiste est toujours surestimé. Nous ne changerons rien. Au mieux, nous serons un miroir de la société. Après, c’est à vous de travailler…vous…les Humains!
Chie nmanJH: Les images numériques dans tes installations portent la trace de l’école classique chinoise. On trouve des dégradés de noir et de gris, ainsi que des traits de pinceau assez atypiques dans ce millieu.
Je vis avec mes pinceaux depuis l’âge de six ans. J’ai suivi une formation classique de peinture et de calligraphie chinoise à Shanghai. J’étais sculpteur de jade aussi. Durant trois ans et demi je suivais une formation, pour travailler ensuite professionnellement pendant cinq ans à l’usine. J’ai toujours adoré le travail manuel. Aujourd’hui, même dans le monde numérique, cet esprit persiste: Quand je retouche mes photos ou de la vidéo à l’aide d’un palette graphique, c’est comme si j’avais mon pinceau à la main, avec le même goût pour le noir et pour un certain type de composition. D’accord, la souris prend de plus en plus de place dans mon travail. Mais quand je monte mes installations, tout redevient du travail manuel. Je construis mes tapis de capteurs moi-même, je fais les soudures, je découpe les structures métalliques.
JH: Comment arrives-tu à condenser cette évolution, d’une tradition millénaire à cette technicité sophistiquée?
Je constate que même mon pays, la Chine, sort de son isolement pour s’intégrer dans la logique de la mondialisation. Du coup, Shanghai, Hongkong et Paris se ressemblent de plus en plus. Les techniques numériques accélèrent cette tendance, d’un ordinateur en France à une machine en Chine, il y a juste la langue de Windows qui change. Même les maladies mentales engendrées par l’ère informatique sont identiques! Il n’est donc pas étonnant que certains créateurs retournent à leurs traditions afin d’échapper à cette uniformisation superficielle.