alors là

Qu’elle était ton activité professionnelle avant de quitter la Chine?

 

J’étais peintre. Je travaillais dans l’art abstrait. A ce moment là en Chine, c’était l’avant-garde. Dans les années 80, on vivait une sorte de révolution dans le domaine de l’art avec les installations, les performances, la peinture abstraite; on copiait l’art occidental des années 60. La vidéo à ce moment là coûtait trop cher pour nous, même une Hi8 ou une VHS. L’Etat n’aidait pas les artistes qui travaillaient en art contemporain.

 

Quand l’idée de partir de Chine a t-elle germée?

 

J’ai eu envie de partir longtemps avant de mettre ce projet à exécution. J’ai reçu une formation académique et dans les années 80 j’ai eu l’impression d’avoir fait le tour de tout. Partir pour moi c’était voir le monde plus grand et ne pas rester coincé dans les frontières chinoises. Pendant ces années là, beaucoup d’artistes sont allés s’installer aux Etats-Unis, en France, en Allemagne…

J’ai décidé de quitter la Chine environ 5 ans avant de pouvoir le faire. J’ai d’abord essayé le Japon et l’Australie puis la France.  J’ai attendu environ 6 mois et c’est la France qui la première m’a donné un visa.

 

As tu demandé un soutien quelconque pour pouvoir émigrer?

 

Non je n’ai rien demandé. Je ne savais ni où aller, ni comment faire. L’occident exigeait énormément de paperasses pour permettre l’émigration des chinois. Il fallait notamment une caution.

 

As-tu été parrainé ?

 

En Chine, j’ai rencontré un couple de touristes français (parente de ma élève)et c’est ce qui m’a orienté vers la France. Je n’ai donc pas vraiment choisi. J’ai économisé et j’ai vendu des tableaux en Chine, et avec l’école des Beaux-Arts j’ai exposé au Japon. J’ai pu payer la caution, le voyage et le logement.

Je suis arrivé en France le 15 octobre 1991. Je me suis d’abord installé à Bordeaux où ce couple d’amis vivait, car j’avais besoin d’un certificat d’hébergement. Je devais ainsi rester dans cette ville pendant un an. Nous communiquions en anglais car je ne parlais pas le français. J’ai suivi deux semestres de cours de français à Bordeaux, mais comme je faisais beaucoup de démarches auprès des galeries pour exposer, je n’ai pas beaucoup progressé.

 

Depuis ton arrivée en France, ton parcours artistique a connu de grands changements.

 

Oui effectivement. Après avoir débuté à Bordeaux avec des expositions de peinture abstraite à la galerie de France et à universitaire Bordeaux II,

je déménage à Paris en 1992, et cinq ans plus tard j’aborde le travail des installations. J’essaie alors de rattraper le temps. A cette époque mes installations utilisent l’objet en mouvement avec son système mécanique. Je participe à un salon à Montreuil puis j’expose dans une galerie mais c’est tout. Finalement, au bout de 4 ans, cette pratique ne me convient plus. Pour moi, le langage des installations n’est plus pertinent.

 

Un jour en 1995, par hasard, j’achète un ordinateur, un pentium processeur 166. Je fais quelques essais et je décide d’approfondir cet outil. En 1997, je choisis de partir à Rennes pendant 1 an pour faire un master destiné numérique. Je réalise deux cd-rom « Chienman » et « Il m’a fait à chaque minute ».

 

Puis en 1999 je crée, avec l’aide du CICV, mon premier environnement interactif, « Présomption », qui reçoit le Prix de l’Installation Interactive Intérieure du Festival Interférence de Belfort. Par la suite, j’améliore cet environnement avec un système infra-rouge financé par la Maison des Arts de Créteil (Exit).

 

À ce jour, j’ai produit onze installations interactives avec, pour certaines, l’aide du CICV et DRAC.

 

Gardes-tu le contact avec ceux qui comme toi ont émigré?

 

Oui. A Paris, je connais une vingtaine d’artistes chinois qui ont émigré en même temps que moi. J’ai encore des relations amicales avec certains mais nous ne travaillons pas dans le même domaine. La plupart des artistes installés en occident continuent de travailler dans le style des années 80.

 

Maintenant que la Chine s’est ouverte regrettes-tu de ne pas y vivre?

 

Non, je ne regrette rien bien que je sois très seul effectivement.

 

A l’époque où je suis parti, la Chine était encore fermée, ce qui n’est plus le cas. Depuis environ 3 ans, la situation a changé. Le gouvernement a compris que l’art contemporain n’est pas dangereux pour le pays. Au contraire. Au même titre que l’exposition universelle en 2010 à Shanghai et les Jeux Olympiques en 2008 à pékin, il s’est aperçu que l’art contemporain pouvait lui ouvrir des portes.

 

Sur place, les artistes bénéficient de toutes les avancées technologiques tout en étant reconnus. Ils n’ont donc plus besoin d’émigrer. Au contraire, ils ont maintenant plus d’occasions de faire connaitre leur travail que ceux qui sont partis. Les critiques d’art et les commissaires occidentaux se déplacent pour aller chercher des artistes en Chine. Mais, même si les opportunités sont plus importantes pour eux, le problème c’est que leur démarche est avant tout de séduction de l’occident. On appelle ça des « Créations d’Ambassade ». C’est pourquoi par exemple la vidéo en Chine, c’est la mode. On en voit partout: dans tous les centres d’art, les biennales… Personnellement je ne travaille pas dans cette optique. En Chine, ce sont finalement les commissaires occidentaux qui régissent le marché de la création.

 

As-tu des relations avec des artistes vivants en Chine?

 

Oui. Par exemple, j’ai invité un artiste en musique électronique pour le festival d’automne de Paris car je trouve son travail excellent. Je l’ai rencontré en septembre dans le cadre d’un déplacement à shanghai, organisé par le CICV pour trouver des artistes.

 

Repartirais-tu en Chine si on t’offrait un poste intéressant là-bas?

 

Tout-à-fait. Je serais très content d’y retourner car désormais je ne m’y sentirais plus coincé. Aujourd’hui, on peut presque habiter n’importe où. Les échanges sont si simples que le lieu où l’on vit n’a plus d’importance. Si je devais déménager ce serait plutôt pour de meilleures conditions de vie.

 

Ton travail est-il connu là-bas?

 

Certains critiques d’art chinois me connaissent par le bouche-à-oreille grâce à mes expositions en Europe. Mes réalisations les intéressent car je travaille en multimédia, ce qui, pour eux, est encore plus nouveau que la vidéo.

 

Quels sont tes projets actuels?

 

Je prépare une rétrospective de mon travail pour le festival d’automne de Paris, à la Gaité lyrique.

 

« Turbulences »   2003                                                  Véronique  Sapin

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